Wuambushu, : un drame annoncé !

« On s’est dit : on va être esclaves des Anjouanais et des Grands Comoriens, vaut mieux être esclaves des Français ! ». Cette phrase jetée cyniquement à la face des médias par la chatouilleuse Zeina Meress de son vivant, est une bonne porte d’entrée pour tenter de décrire la situation incendiaire de l’ile de Mayotte, 101ème département, « ovni juridique »¹ de la cinquième république qui fut arrachée , à l’archipel des Comores au moment de son indépendance, pour la poursuite du projet colonial impérialiste français. Indépendance formelle dont bénéficieront en 1975, trois des 4 iles des Comores ( Ngazidja, Moheli, Ndzuwani) regroupées aujourd’hui au sein de l’entité « Union des Comores », à laquelle Mayotte fut séparée par annexion de la France et par violation du droit international. Cette domination de la France prend à cette date plusieurs aspects dont l’appui d’un narratif tribaliste anti-comoriens (des autres îles) et pro-colonial diffusé de façon hégémonique par l’action des héritiers du lobby colonial françafricain dans l’océan indien, avec parmi eux les poursuivants jusqu’à aujourd’hui de l’action des milices « soroda ».

Du tribalisme et de la fabrique du consentement…

Le mouvement “soroda” désigne l’appellation mahoraise des soldats ou milices du MPM² (Mouvement Populaire Mahorais créé en 1963 par le regroupement de personnalités politiques issues de sensibilités diverses. La gestion du parti MPM est ensuite de plus en plus encadrée par un lobby colonial parisien et réunionnais pour contrer des velléités d’indépendance qui existaient alors à Mayotte. Mayotte point de départ de la colonisation de l’archipel comorien avait pourtant refusé d’adhérer à la constitution proposée au referendum du 28 septembre 1958 (l’adhésion à l’union Française sous la 5ème République), mais à cette date les résultats avaient été comptabilisés globalement puisqu’ils allaient dans l’intérêt de la France contrairement aux consultations qui viendront ensuite et par lesquelles la France se permettra de s’emparer illégalement de Mayotte.  Le sentiment anti-comoriens des autres îles, fut un levier sur lequel le MPM qui s’était d’ailleurs allié à l’Action Française de Pierre Pujo ³, pouvait espérer mobiliser des mahorais ayant mal vécu la réforme de la loi cadre-Defferre qui avait décentralisé l’administration de l’Archipel vers Moroni en 1958. Les leaders du parti MPM, instrument du colonialisme, pouvaient alors s’appuyer sur le réseau de militants du mouvement des « soroda » ou soldats du MPM. La campagne pro française dans les années 60 et 70, prendra alors des formes musclées et violentes avec les groupes soroda des « bastonneurs » et des « chatouilleuses »⁴ emmenés par Zeina Mdéré. Intimidations, passages à tabac, viols et assassinats seront commis sur les mahorais réfractaires à la France pour faire gagner la cause séparatiste. De nombreux Mahorais choisiront l’exil vers les autres iles, pour fuir l’humiliation orchestrée par la Françafrique. Pour régner sans partage dans cette région, la France acheva de mettre en place le visa Balladur en 1995 pour sceller la séparation définitive entre les deux entités politiques distinctes, Mayotte et l’Union des Comores.⁵ Le réalisateur Mohamed Saïd-Ouma, l’a bien expliqué : « cette migration contrôlée a pour but de mettre fin à des pratiques millénaires, à une façon d’être. Nous sommes des îliens, mais en plus des îliens d’archipel, le rapport au voyage, au déplacement court par la mer ou très court est un rapport naturel. On est venu casser cela, les violences symboliques et concrètes engendrées par ce dispositif sont très fortes. »

…Au séparatisme : description du fascisme ordinaire à ciel ouvert …

Non seulement la séparation administrative de Mayotte était rendue effective par le Visa Balladur, mais ce dernier allait aussi mettre une fin à des échanges économiques plurimillénaires entre les îles de l’Archipel. Un arrêt des échanges, synonyme d’un fossé creusé entre les deux espaces faisant de Mayotte « un îlot de pauvreté dans un océan de misère », où le PIB par habitant et 8 fois supérieur que pour ses voisins. Dans ce contexte, Pour le ressortissant comorien ne disposant pas d’un statut privilégié⁷ la démarche de demande de visa est longue avec des conditions d’octroi qui rendent sa délivrance hors de portée.  » Elle aboutit très rarement à l’octroi d’un visa. »Celui qui, bien que dépourvu de visa, souhaite quand même venir à Mayotte n’a qu’une option : s’en remettre à la voie maritime et s’exposer à la mort.⁸ Aujourd’hui le bras de mer séparant Mayotte d’Anjouan d’une largeur d’environ 70 km totalisent plus de 20 000 morts depuis la mise en place du visa Balladur en 1995 ! »

Pour les survivants de la traversée, l’installation à Mayotte est encore une rude épreuve puisqu’ici encore l’Etat intégral y applique un droit dérogatoire à l’égard des étrangers et des mahorais également bien que la départementalisation ait été actée depuis 2011. Alors que l’Etat débourse en moyenne 4 fois moins pour un citoyen mahorais par rapport à la moyenne nationale et que l’ensemble des dotations publiques ou des prestations sociales sont les plus faibles de l’espace français, il faut ajouter à cela des politiques et des pratiques anti-migrantes qui ont pour effet de créer une ségrégation sociale et spatiale à Mayotte. « Le droit des étrangers est traité à Mayotte sous l’angle de la lutte contre l’immigration irrégulière. Toutes les administrations concernées semblent converger vers cet objectif ultime. »⁹. L’accès au titre de séjour est biaisé par des attentes interminables, le droit à la sureté des « étrangers » est quasiment inexistant du fait de l’omniprésence de la police aux frontières. Ses contrôles systématiques empiètent nécessairement sur l’accès aux libertés individuelles et entravent les droits fondamentaux : le droit familial, le droit de se soigner ou de s’éduquer. A cette absence de droits, il faut déplorer la stigmatisation continue dont font l’objet les demandeurs de titres de séjour. Cela s’observe notamment à dans les mouvements sociaux ou les revendications exprimées portent davantage sur la lutte contre l’immigration que sur l’accès à l’égalité.

Le droit du sol qui désigne la possibilité d’un enfant né sur le sol français de choisir sa nationalité au moment de sa majorité, à la seule condition qu’il ait résidé plusieurs années en France avant sa demande, est largement remis en question à Mayotte. La loi asile et immigration de 2018 ajoute que l’enfant qui demande la nationalité doit aussi prouver que l’un de ses parents au moins résidait en France légalement depuis trois mois au moment de sa naissance. Gérald Darmanin envisage de durcir encore la loi, en allongeant le délai à neuf mois et en étendant la présence régulière sur le territoire aux deux parents. La restriction du droit du sol est loin d’être la seule exception au droit des étrangers à Mayotte. Les titres de séjour délivrés sur l’île ne sont valables qu’à Mayotte. Pour quitter le territoire, y compris pour se rendre dans un autre département français, il faut obtenir un visa. Ces titres de séjour territorialisés font l’unanimité. La loi immigration de 2018 instaure une autre dérogation, moins médiatisée mais tout aussi révoltante selon les associations d’aide aux migrants. Elle concerne le DCEM, le document de circulation pour étranger mineur. Cette carte, valable cinq ans, permet aux mineurs qui n’ont pas la nationalité française de voyager. À Mayotte, on a restreint ce document de voyage aux seuls enfants nés sur le territoire mahorais. Il serait difficile d’énumérer exhaustivement en dehors des lois, les innombrables pratiques discriminatoires envers les étrangers qui existent dans les institutions ou les services publics de l’Etat. Cela va des entraves à l’accès à l’éducation par des pratiques illégales mais connues de tous par des personnels de mairie, ou encore à la mise en place des soins payants pour les migrants non affiliés à la sécurité sociale de Mayotte. Nous déplorons aussi, la censure et l’orientation fasciste obsessionnelle qui manipule les revendications dans les AG, ou conseils d’administration systématiquement parasités par les personnalités parfois militantes ou souvent en lien avec les forces politiques partisanes du discours fasciste et séparatiste à Mayotte !

…Une île abandonnée au chaos !

Face aux problèmes structurels et colossaux auxquels doit faire face l’ensemble de la société de Mayotte, l’immigration est désignée comme le bouc-émissaire idéal. Fabriquer l’ennemi comorien ou étranger, dédouane l’Etat de ses responsabilités. Dans le narratif actuel, il s’agit pour les collectifs de Mayotte héritiers des « Soroda » d’accuser systématiquement les comoriens ou étrangers d’être à l’origine des violences observées dans l’île depuis une dizaine d’années. Ces violences prennent la forme d’attaques collectives et armées d’armes blanches par des jeunes contre les villages ou souvent contre les établissements scolaires, où des jeunes des villages voisins ou ennemis sont scolarisés. Dans ces cas encore, malgré l’inexistence d’enquête sérieuse sur la question, les forces politiques désignent systématiquement les « étrangers » comme coupables… Et cela même alors que bien souvent les auteurs sont détenteurs de la nationalité française ! « Le traitement médiatique de ces violences est souvent partial et vise quasi-systématiquement les mineurs étrangers accusés d’en être les seuls auteurs. Cela génère des amalgames et une stigmatisation accrue des enfants étrangers. Cette stigmatisation est renforcée par les discours de certains responsables politiques et décideurs publics qui tendent à légitimer cette pensée. Ces propos violents contribuent à renforcer le climat particulièrement hostile envers les enfants considérés comme étrangers et gomment toute analyse approfondie des causes multifactorielles qui expliquent l’importance des taux de délinquance juvénile. »¹⁰ Un climat délétère alimenté par des collectifs tribalistes et violents qui souhaitent joindre la question sécuritaire à l’expulsion massive des « clandestins » de Mayotte.

Pour répondre à cela, Le gouvernement français ne fait plus de mystère de son projet d’éradiquer les « sans-papiers » de Mayotte. Un dispositif exceptionnel de plus de 400 gendarmes est envoyé en renfort aux éléments du Raid déployés sur l’île dans le cadre de la lutte contre la délinquance et en soutien à la Police aux frontières, pour mener la vaste opération d’expulsion jamais réalisée à Mayotte. Baptisée «Wuambushu», l’opération prévue à partir du 20 avril prochain, vise officiellement à « Lutter contre l’immigration clandestine, éliminer l’habitat insalubre et démanteler les bandes » responsables de la violence qui a transformé Mayotte en une terre d’insécurité. Les premières réactions contre cette opération proviennent de Mayotte où des magistrats sont montés au créneau pour alerter sur une opération qui « ne laisse d’autres choix aux magistrats que d’être au service d’une politique pénale du tout répressif et expéditive, dans une ambiance de chasse aux sans-papiers et de potentielles émeutes (…) ». Fahad Idaroussi Tsimanda, Chercheur originaire de Mayotte au Laboratoire de géographie et d’aménagement de Montpellier (Lagam), estime que cette opération pourrait amener une accentuation de la vulnérabilité des personnes, qui sont déjà dans une situation d’extrême marginalité¹¹. Dans son communiqué du 21 février, la section régionale du Syndicat de la magistrature se dit inquiète de l’instrumentalisation d’une « opération qui s’inscrit également dans un calendrier politique précis, guidée par une logique sécuritaire et démagogique ». Des journaux parmi les plus sérieux (le Canard-Enchaîné, Mediapart, le Monde) et les médias de la région, font état de rapports cachés sur la situation structurelle alarmante à Mayotte et d’une faillite généralisée des politiques publiques menées par Paris notamment en direction de la Jeunesse, ainsi qu’un manque de concertation. Malgré ces rapports accablants, Macron et son gouvernement, s’entêtent à poursuivre leur politique sécuritaire dont les experts préviennent qu’elle ne fera qu’aggraver un climat déjà délétère avec des risques de déclenchement de guerre civile. 10 jours après le début officiel de l’opération, il est confirmé que l’opération Darmanin est loin d’être sur de bons rails, alors que les congrès fascistes et les actes racistes apparaissent en parallèle aux affrontements armés et aux actes de violence qui se multiplient. Que fera la population de Mayotte dans 7 semaines après le retrait des forces de l’ordre ?

Pour toutes ces raisons et face à l’ignominie annoncée et à la récupération à des fins impérialistes des questions migratoires aux Comores, notre collectif tient à affirmer sa démarcation totale des forces politiques fascisantes qui se tairont ou soutiendront l’opération wuambushu ! Cette opération est rendue illégale par l’article 2 du protocole 4 de la convention européenne des droits de l’Homme interdisant formellement les expulsions collectives. Nous dénonçons l’attitude coupable et irresponsable d’une politique incendiaire qui ne fera qu’augmenter la détresse de la population entière de Mayotte. Par la même occasion, nous soulignons par cet article le caractère arbitraire de l’opération en dépit du discours officiel qui voudrait lui donner un caractère unanime. Dans une démarche internationaliste et solidaire des peuples opprimés nous réaffirmons notre engagement au coté de l’ensemble de la société de Mayotte contre une politique impérialiste et son discours manipulateur ! Mayotte le seul territoire ou des forces répressives font 8000 km pour reconduire des familles à 70 km (nous disons bravo à « bann zazalé » d’avoir soulevé ce paradoxe !).

Par la même occasion nous exhortons les militants réunionnais, les associations et structures politiques à contrer l’opération funeste de Darmanin. Nous rappelons que la droite locale, le JIR et les capitalistes du sucre avaient soutenu le combat de Mayotte française dans les années 70 et que jusqu’à une époque récente les dotations allouées au développement de Mayotte passaient par le contrôle et la redistribution de l’entité politique réunionnaise. La précarisation des populations comoriennes ne s’est pas faite subitement en 2023 mais sur plusieurs années, au nez et à la barbe et parfois avec la complicité même de nos collectivités. Aujourd’hui encore, notre territoire qui joue un rôle logistique dans cette opération et qui en souffrira inévitablement ne peut accepter ce drame qui touche notre région. Nous déplorons que les acteurs de l’india-océanie instituée dans la COI comme la région Réunion présidée par le Parti PLR, reprenne dans leur communiqué les expressions du narratif colonial de « Mayotte la française » sous-entendant qu’il y aurait d’un côté les Comoriens et de l’autre les Mahorais… Le tout enrobé d’un faux vernis de recherche sur la culture bantoue ! Nous déplorons le silence des personnalités dites engagées dans le mouvement décolonial mais certainement parrainées par des gros partis ayant des intérêts avec « Mayotte la Française ». Nous nous demandons où se cachent nos amis de l’afrocentricité lorsque les droits fondamentaux du peuple frère comorien sont violés par la puissance néocoloniale française. Nous interpellons les élus qui aiment prendre la défense de Mayotte mais qui se taisent systématiquement sur les exactions commises à Mayotte en lien avec le contexte initial de la violation du droit internationale. Enfin nous convions encore nos sympathisants dits panafricains et anticolonialistes à s’engager au sein du CSUM (Collectif Stop Uwambushu à Mayotte)¹² . Gageons que la crise comorienne soit unificatrice des forces progressistes réunionnaise alors qu’elle expose pour le moment la duplicité manifeste des forces politiques muettes face au chaos orchestré à deux heures d’avion de chez nous !

Notre organisation rassemblant des panafricanistes (les tête agissantes !) se rappelle que « tant de bénédiction découlent de notre unité. Tant de désastres devront faire suite à notre désunion. L’heure de l’histoire qui nous a amené à cette assemblée est une heure révolutionnaire. C’est l’heure de la décision. Les masses de l’Afrique pleurent pour leur unité. » Kwame Nkrumah

KA-UBUNTU

SOURCES

(1) Terme employé par je juriste pro-français Thomas Msaidié, originaire de Mayotte.
(2) Mouvement Populaire Mahorais, créé en 1963 afin d’engager Mayotte pour le maintien sous le giron français et contre son accès à l’indépendance avec les trois autres îles comoriennes.
(3) (extrême droite monarchiste et colonialiste dont les fondateurs Maurice Pujo, le père de Pierre Pujo et Charles Mauras avaient été condamnés pour leur soutien au régime de Vichy et a sa collaboration avec l’Allemagne Nazie).
(4) « Égérie du combat pour Mayotte française, le « commando des chatouilleuses » constitue un élément déterminant de l’activité du MPM durant cette période », Le combat pour Mayotte française [1958-1976], Mamaye Idriss, Karthala p126
(5) Edouard Balladur, qui compte sur les suffrages majorais pour parvenir à son élection, instaure le 18 janvier 1995 l’obligation de Visa pour tout Comorien de l’Union des Comores entrant à Mayotte. Entre Mayotte et le reste de l’archipel des Comores, à la frontière géographique et administrative s’ajoute alors une frontière policière.
(6) Cité par Africultures : Visa Balladur | Africultures
(7)  Ce sont les élus, les universitaires, les journalistes et les bi nationaux.
(8) Quelques éléments d’analyse sur le Visa Balladur – La Cimade
(9) Mariama Osbert, Le traitement dérogatoire en droit des étrangers à Mayotte Mémoire préparé sous la direction de Mr. Serge Slama, 2018-2019.
(10) UNICEF : Opération d’ampleur à Mayotte : observations et recommandations, 31 mars 2023
(11) À Mayotte, « les expulsions massives vont accentuer la vulnérabilité » des migrants | Mediapart
(12) csum.comores@gmail.com
Image : Mayotte la 1ère

KA UBUNTU

mouvement politique indépendantiste et panafricaniste fondé par des réunionnais.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *