Comprendre la présence militaire française de bourbon à la Réunion.

L’île de La Réunion située dans l’archipel des Mascareignes, aurait été nommée « Tiri Raga »
par les malgaches d’après les plus anciennes sources écrites. Place stratégique pour la grande île qui venait s’y fournir en bois, elle fut ensuite colonisée à partir de 1663 lorsque deux Français dont Louis Payen, débarquent avec dix esclaves malgaches dont trois femmes. L’île devient ensuite une colonie à part entière pour constituer désormais la première base française du Sud-Ouest de l’Océan Indien. Dès 1663 une querelle éclatera entre les colons et les esclaves. Ces derniers se sont alors enfuis dans les montagnes pour fonder le premier peuplement de l’île et une royauté marronne avec son premier roi « ANSHAIN ». Les différents royaumes marrons se sont alors succédés jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. L’histoire réunionnaise est donc ainsi porteuse d’une mémoire ambivalente entre colonialité et marronnage, entre assimilation et insularité rebelle. Analyser la question militaire de Bourbon à La Réunion permettrait ainsi de mettre en exergue certaines facettes de l’histoire de l’île ou de l’Océan Indien qui fut longtemps, ou qui est encore dominé par la France. Comment la France a-t-elle utilisé la colonie réunionnaise pour défendre son projet colonial dans l’océan indien ? Si la présence armée à Bourbon est dans un premier temps déployée pour défendre la colonie, elle sera ensuite au service du projet de conquête coloniale et occupe désormais une place centrale dans le néocolonialisme français pour la sous-région africaine de l’océan indien.

*Défendre la colonie

Dès les premières étapes de son histoire française, l’essence de la présence militaire à Bourbon comprend 3 objectifs principaux :
-La protection des intérêts coloniaux
-la chasse au marronnage
-la participation aux guerres coloniales
L’archipel des Mascareignes (3 iles soit : Bourbon ou la Réunion, L’île de France ou Maurice et Rodrigues) est administré jusqu’en 1767 par la Compagnie des Indes orientales puis par le pouvoir royal, révolutionnaire et impérial jusqu’en 1810 avant de connaitre les différentes phases de restauration et de période républicaine au XIXe siècle. Bourbon présente un intérêt accru pour la Compagnie à partir des années 1710-1720 lorsque la culture du café y est introduite (1718), lorsque les Français s’établissent à l’île de France après son abandon par les Hollandais qui l’ont « occupée » de 1598 à 1710 et à la suite de l’implantation des Français en Inde. Place stratégique d’escale sur la route menant aux indes, l’île de La Réunion ou Bourbon est peu mise en valeur au début de sa colonisation ou elle est administrée par la compagnie des Indes orientales. Cette dernière mise surtout sur Fort Dauphin, colonie malgache fondée en 1643. En 1663, sur la demande du maréchal de La Meilleraye, principal actionnaire de la Compagnie, les directeurs installent un poste militaire à Bourbon car : « … ce lieu est très sain, très fertile et très abondant en chair et en poisson. ». En 1674 à la suite de heurts entre les Malgaches et les colons plusieurs de ceux-ci sont assassinés et les survivants quittent Fort-Dauphin pour d’autres destinations, en particulier Bourbon.

Dans les premières décennies les colons pratiquent déjà l’esclavage. Deux mots conditionnent
la survie du système esclavagiste : surveiller et punir. C’est ainsi que le 14 septembre 1697 une milice est créée pour donner la chasse aux marrons. La chasse aux marrons est alors une activité lucrative. Sous des formes diverses, cette milice d’habitants existe jusqu’en 1810 et mène parfois de véritables guerres contre des marrons particulièrement organisés dès le seconde moitié du XVIII è siècle. Dans un premier temps l’histoire militaire de la colonie commence surtout par protéger les fondations des rebelles à l’intérieur même de ses terres. Le marronnage étant bien plus qu’une simple quête de liberté, il faut en réaffirmer la valeur culturelle, cultuelle (refonder les dynasties royales malgaches) et politique (anti-esclavagiste et anticolonialiste). Ce marronnage continue aujourd’hui d’inspirer la lutte réunionnaise indépendantiste, anticolonialiste et panafricaniste.

Jusqu’aux années 1710, la défense de Bourbon face à l’ennemi extérieur n’est pas la préoccupation majeure des autorités. La nouvelle Compagnie des Indes créée en 1719 entend développer la culture du café et construire des magasins pour y entreposer les récoltes, développer l’île de France (Maurice) voisine et, malgré les échecs récents, ne pas renoncer à s’implanter à Madagascar. Quelques soldats sont envoyés à Bourbon, mais le gros est retenu à l’île de France et rien ne change en matière d’artillerie et de fortifications jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Devant le peu de moyen que dispose la colonie l’île permet aux pirates d’entretenir des trafics de toutes sortes : de l’alcool, des métaux précieux mais aussi des esclaves. Cette présence de la piraterie est non seulement peu combattue par la compagnie des Indes mais elle s’en accommodera ensuite en intégrant les pirates amnistiés ou devenus corsaires (pirates ayant obtenu une autorisation du Roi). Il faut donc bien souligner que dès le début de la colonisation de Bourbon, les gouverneurs s’accommoderont de la présence de ces pirates négriers en les intégrant dans les différentes fonctions de la colonie et souvent dans les milices de chasseurs de marrons. Antoine Desforge-Boucher gouverneur de l’île Bourbon rédige d’ailleurs en 1710 un mémoire dans lequel il affirme qu’ « il ne faut pas oublier que les meilleurs habitants de Bourbon ont été des forbans. » Plus tard mentionnons également Bertrand François Mahé, comte de La Bourdonnais ancien corsaire qui devient gouverneur
général des Mascareignes entre 1735 et 1747. Ces observations sont très importantes pour comprendre l’esprit qui anime l’administration de Bourbon et son utilisation pour défendre les intérêts du royaume de France en n’hésitant pas à y faire régner le non-droit ou à s’en accommoder ! De 1747 à 1810, Bourbon n’est qu’une simple annexe de la colonie sœur et ne reçoit comme militaires pour sa défense que des détachements de trois ou quatre
compagnies envoyés par l’île voisine.

Devant la faiblesse du nombre de soldats envoyés de métropole, on s’achemine donc vers la constitution d’une troupe recrutée localement : ce sont les « Volontaires de Bourbon » (1758-1803) qui serviront en Inde dans la guerre inter-coloniale de 7 ans en recrutant parfois des soldats esclaves, puis le « Bataillon des Chasseurs et Artilleurs des Colonies orientales ». Bourbon, en fait, manque de tout : d’artilleurs de métier, d’armuriers ou d’ouvriers pour les travaux militaires. Il est important de souligner que ces régiments recrutent alors des « volontaires » parmi toutes les strates de la société coloniale qui se militarise presque totalement tout au long du XVIIIe siècle pour répondre à la grande peur que suscite les détachements des royaumes marrons, organisant des descentes fréquentes sur les plantations pour plusieurs raisons : sabotage de l’outil de production de la colonie, vols d’outils, libération de captifs… Pour faire face au Marronnage les troupes sont constituées aussi bien de libres que d’esclaves, qui constitueront ensuite les troupes locales chargées de défendre la colonie, parfois très difficilement puisqu’en 1810, la colonie sera conquise par l’empire britannique. Entre le 5 et le 11 novembre 1811, les britanniques réprimeront sévèrement la révolte d’Eli, esclave forgeron dit « créole », qui avait pour projet d’abolir l’esclavage. Cette abolition est finalement concédée par la France en 1848.

*De la défense de la colonie à la défense de la colonisation

Issue de la bourgeoisie sucrière, une élite blanche assimilationniste activera vivement le projet colonial français dans l’océan indien apportant sa contribution à l’ambition de la troisième république de « civiliser les races inférieures » (J .Ferry). Cette caste nommée « gro blan » à La Réunion sera l’avocate des conquêtes coloniales de Madagascar et des Comores après la conférence de Berlin en 1884. Lorsque la Troisième République est proclamée et que deux sièges de députés sont accordés à la Réunion, François de Mahy issue d’une famille de notable de La Réunion se présente et est élus le 20 novembre 1870. Il siège à l’Assemblée nationale jusqu’à sa mort survenue pendant un mandat. Inscrit au groupe de la gauche républicaine, il s’intéresse à tous les aspects de la politique coloniale de la France tout en continuant à exercer comme médecin et journaliste et en s’engageant dans la franc-maçonnerie. Aussi, si Jules Grévy fait de lui son ministre de l’agriculture en 1882, il devient ensuite ministre de la Marine et des Colonies en 1883. Il occupe encore ce poste sous le premier gouvernement de Pierre Tirard en 1887. Pendant ces quelques années, il soutient activement le projet de colonisation de Madagascar par son pays. Lorsque la Grande Île est finalement prise, il participe à la politique de « pacification » de celle-ci menée par Joseph Gallieni en incitant les Réunionnais à s’installer là-bas. Joseph Gallieni avait d’ailleurs été Promu pour une durée de 3 ans lieutenant au 2e régiment d’infanterie de marine (2e RIMa) à La Réunion le 25 avril 1873, où il commença sa carrière coloniale.

Enfin le député Louis Brunet, issue d’une grande famille de propriétaires héritière de l’esclavage, fait partie d’une famille d’hommes politiques de La Réunion : son père, Charles,
était conseiller général, son oncle, Jacques Sully-Brunet, était parlementaire ; son fils, Auguste, sera lui aussi député. Il siège alors sur les bancs des républicains, et se révèle très actif sur toutes les questions coloniales. Il est notamment à l’origine de la décision de l’expédition française à Madagascar menée en 1894, et encourage la colonisation de cette île.

Cette colonisation insufflée par l’action des élites de La Réunion sera également menée depuis une place forte qui deviendra rapidement la base militaire principale du colonialisme français dans la sous-région : Diego Suarez au nord de Madagascar. La ville portuaire de Diego-Suarez (actuelle Antsiranana), située à l’Extrême-Nord de Madagascar dans l’immense baie enclavée du même nom, constitua pendant près d’un siècle un des hauts lieux de la projection impériale française dans l’océan Indien. En 1883 sous la pression de François de Mahy, député de La Réunion, une petite escadre fut envoyée pour lutter aux côtés des sakalaves contre les « hovas » ,
clans hostiles à la colonisation française. A la suite de l’occupation de la baie, les négociations engagées avec les représentants malgaches aboutirent au traité du 17 décembre 1885 par lequel (article 15) : « Le gouvernement de la République se réserve le droit d’occuper la baie de Diégo-Suarez et d’y faire des installations à sa convenance »! Lors de sa fondation, il s’agissait initialement, à partir d’un site original , l’une des plus grandes baies du monde au carrefour des principales routes maritimes et stratégiquement situé au Nord du canal du Mozambique , de contrer l’hégémonie britannique dans la région et de rivaliser avec la formation progressive et parallèle d’autres bases navales sur le pourtour de l’océan Indien.

Les plans de défense entrepris par le maréchal Joseph Joffre entre 1900 et 1905 et sa transformation en un point d’appui stratégique de la flotte permirent à la base navale d’être au premier plan des grandes rivalités et tensions de son siècle, de la guerre russo-japonaise aux deux conflits mondiaux, dont elle fut d’ailleurs un des principaux théâtres d’opérations en 1942 lors du débarquement britannique contre les troupes vichystes (opération Ironclad). Dès les premières années la ville s’est peu à peu agrandie et réglementée pour former une municipalité et l’unique ville coloniale fondée ex nihilo sur la Grande Île, toujours en interdépendance avec les garnisons successives et les infrastructures navales. Durant les deux grandes guerres mondiales Diego servait comme base d’entrainement pour les bataillons malgaches de l’Océan Indien, ou furent recrutés des centaines de Mahorais. Les Comoriens des autres îles étaient davantage enrôlés dans les bataillons somalis. Les réunionnais intégraient avec les Antillais les bataillons créoles. Toutes ces troupes de l’océan indien étaient d’abord acheminées à Diego ou Tamatave (détachement de Diego) pour y recevoir un entrainement militaire avant d’être expédiées sur le front. Plus tard en 1947, Diego fut aussi la base des garnisons des anciens tirailleurs « sénégalais », utilisés par le colonialisme français pour réprimer la révolte malgache anticolonialiste.

A cette date encore l’île de La Réunion est utilisée comme réservoir militaire et pour le support logistique pour écraser la révolte malgache qui s’est conclue par un bilan de 100000 morts et 5000 arrestations. Toutefois, Il parait nécessaire encore une fois de nuancer l’impression d’unanimité à soutenir le colonialisme chez les élites réunionnaises. A Paris, les RéunionnaisRaymond Vergès et Léon de Lepervenche sensibilisent leurs collègues députés sur les crimes coloniaux et dénoncent le sort des colonisés qui subissaient le statut de l’indigénat. D’autres Réunionnais enrôlés dans l’armée française refusèrent d’exécuter les ordres et choisirent de déserter et faire souche à Madagascar. Diego base militaire et symbole du colonialisme français, représentait la domination coloniale tricolore dans le Sud-Ouest de l’océan Indien, dépassant le strict moment de la colonisation de l’île (1896-1960).

En 1960, à la suite de l’indépendance obtenue par Madagascar, des accords franco-malgaches autorisaient la France à maintenir sa base sur la grande ile. Mais de nouveaux arrangements, en date du 4 juin 1973, l’obligeaient à retirer ses forces terrestres et aériennes. La base navale passait sous contrôle malgache mais avec le maintien d’une présence française pour former en deux ans les techniciens nécessaires à son fonctionnement. Les installations portuaires restaient disponibles pour les forces françaises en vertu de conventions renouvelables annuellement. L’évacuation définitive de Diego Suarez aura lieu en 1974 conduisant automatiquement la France à un redéploiement qui s’organisera ainsi :
– Un commandement supérieur inter-armées du Sud de l’Océan Indien basé à La Réunion et chargé de protéger les îles françaises de l’Océan Indien ainsi que les possessions Françaises
proches de l’Antarctique. Du fait de l’annexion de Mayotte par la France un détachement d’environ 400 hommes sera maintenu à Mayotte dès le milieu des années 70.
– Un commandement inter-armées des forces françaises stationnées à Djibouti.
– Un commandement de la zone et des forces maritimes de l’océan indien, responsable de la sauvegarde des intérêts français dans les zones économiques et sur les voies de communication et chargé d’apporter un soutien opérationnel et logistique aux autorités civiles et militaires de La Réunion et Djibouti.

Notons qu’à cette période la France ne possède pas de véritable base navale dans l’Océan Indien mais préfère entretenir des forces navales mobiles. Ce n’est qu’en 2011 qu’elle choisit de faire du Port des Galets à La Réunion la base des FAZSOI (Forces Armées du Sud-Ouest de L’Océan Indien) aujourd’hui au cœur de sa politique impérialiste dans le Sud-Ouest de l’Océan Indien et les pays limitrophes de l’Afrique australe ou swahilie.

En conclusion, L’important ici est de comprendre que La Réunion n’a pas toujours eu un intérêt important pour l’empire colonial qui lui préférait d’autres possessions avec des intérêts stratégiques supérieurs. L’île de France (Maurice) ou Madagascar et Djibouti. Devant les évolutions géopolitiques liées à la marche de l’histoire, telles que les mouvements de décolonisation ou encore les divers affrontements des blocs pendant la guerre froide, les forces armées françaises choisiront de se redéployer à La Réunion ou elles auront l’ambition de sauvegarder les intérêts coloniaux et néocoloniaux français. La Réunion et son détachement à Mayotte seront alors de plus en plus utilisés pour la défense des intérêts français dans l’océan indien.

PHOTO : Fazsoi – Forces armées dans la zone sud de l’océan Indien

KA UBUNTU

mouvement politique indépendantiste et panafricaniste fondé par des réunionnais.

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