« Les refus de l’esclavage ont ainsi été une donnée constante des sociétés coloniales : le premier navire qui apporta des esclaves africains à Saint-Domingue (alors Hispaniola) y est arrivé en 1503, soit onze ans seulement après le premier débarquement de Christophe Colomb, et la première révolte d’esclaves connue date de 1506 ». Marcel Dorigny, historien et spécialiste des études sur les mouvements antiesclavagistes et abolitionnistes.
Nés libres, jamais esclaves !
Arrivés en Amérique, les déportés sont vendus et employés le plus souvent dans les plantations ou dans les mines. Les conditions d’existence y sont extrêmement difficiles. Aussi, dès les débuts de la colonisation du « Nouveau Monde » et des îles de l’Océan Indien, les colons européens doivent faire face à des révoltes des victimes de l’esclavage, autochtones et africaines. Ces rébellions sont conduites par des hommes et des femmes épris de liberté qui mènent une lutte acharnée contre l’esclavage qui leur est imposé. Leur histoire a traversé les siècles et leur héroïsme retentit encore dans nos oreilles malgré tous les efforts entrepris pour les diaboliser (Zumbi de Palmares) ou les reléguer dans les oubliettes de l’Histoire. Makandal ou Boukman à Saint-Domingue ou Nat Turner en Virginie, de même Dimitile ou Anchaing et Héva à La Réunion, sont restés dans les mémoires comme des figures mythiques, incarnations du héros libérateur.
– L’histoire de Jemmy (USA)
Jemmy a conduit la Rébellion de Stono, une des premières rébellions contre l’esclavage qui a lieu à l’intérieur des frontières du territoire actuel des Etats-Unis. Il était décrit comme instruit et originaire d’Angola (probablement de l’Empire Kongo en Afrique centrale). Le 9 septembre 1739, des esclaves de Caroline se sont rassemblés près de la rivière Stono dans le but de planifier une marche armée pour la liberté. Ils ont marché sur la chaussée avec une banderole qui portait l’inscription « Liberté ! » et ils chantaient ce slogan à l’unisson. Au pont Stono, ils se sont emparés d’armes et de munitions dans un magasin, tuant les deux employés. Ils ont brandi un étendard et se sont dirigés vers la Floride Espagnole au sud, alors un refuge pour les esclaves fugitifs. En chemin, ils ont rassemblé d’autres recrues jusqu’à être quatre-vingt. Ils ont incendié sept plantations et tué vingt blancs. Le lieutenant-gouverneur de Caroline du Sud, William Bull, et quatre de ses amis ont fui à cheval et ont rassemblé une milice parmi les propriétaires de plantations.Le jour suivant, la milice à cheval a rattrapé le groupe de quatre-vingt esclaves. Vingt blancs de Caroline et quarante-quatre esclaves ont été tués avant que la rébellion ne soit écrasée. Les esclaves ont été capturés puis décapités et leurs têtes ont été exposées tout au long de la route qui menait à Charles Town.
– L’histoire de SANITE BELAIR, rebelle et soldate haïtienne (Ayiti)
Sanité Belair fait partie de ces nombreuses esclaves qui se sont soulevées, et qui ont participé à l’insurrection sur le front haïtien. Elle est l’une des figures de proue de ces commandos, épouse de Charles Bélair, neveu, aide de camp et lieutenant de Toussaint Louverture. Comme d’autres elle s’illustre par sa bravoure et son courage dans les combats. Elle est de tous les combats, jamais très loin de son époux. Elle fera d’ailleurs montre d’un tel acharnement qu’elle finira, dit-on, par figurer comme l’âme même de la conjuration. Sanité tombe dans un guet apens, et se fait capturer lors d’une attaque surprise, alors que la plupart du contingent rebelle est partie chercher des munitions et des renforts. Apprenant son arrestation, son mari décide de se rendre. Quelques heures plus tard, ce 5 octobre 1802, tous deux sont condamnés à mort. Le tribunal colonial « considérant le grade militaire de Charles et le sexe de Sanité, son épouse, condamna ledit Bélair à être fusillé et ladite Sanité, sa femme à être décapitée ».Les récits rapportent que lorsque Charles Bélair se retrouve devant le peloton d’exécution, il entend la voix calme de son épouse l’exhortant à mourir en brave, c’est alors la main sur le cœur qu’il tombe sous les balles. Vient ensuite le tour de Sanité. Elle refuse qu’on lui bande les yeux, et le bourreau ne parvient pas à lui faire courber le dos pour installer sa tête sur le billot : « L’officier qui commandait le détachement fut obligé de la faire fusiller. » C’est ce que Sanité voulait, mourir dignement, comme un soldat. (Sources Mémoire de Femmes. Claude-Narcisse, Jasmine -en collaboration avec Pierre-Richard NARCISSE-Port-au-Prince, 1997).
– L’histoire de Cimendef (La Réunion)
Marron d’origine malgache, Cimendef choisi lui-même son nom, une fois libre, s’étant enfui de la plantation où il était esclave. Construit à partir des mots “tsi” (non) et “andevi” (esclave), Cimendef signifie en malgache “non esclave”. Selon la mémoire orale réunionnaise, ce nom signifie aussi “Qui ne courbe pas la tête”. Quoi qu’il en soit, le nom que se donne cet homme indique sa volonté de résister et de vivre libre. S’installant dans le Cirque de Mafate, il fonde une communauté de marrons, créant ainsi sur l’île un territoire libre. Tué vers 1752 par le chasseur de “noirs marrons” François Mussard, il marque l’île d’une empreinte indéniable. Cimendef a donné son nom au piton d’une montagne dans l’île. Le poète réunionnais, Boris Gamaleya dans, “Vali pour une reine morte”, long poème qui chante l’épopée des marrons réunionnais, lui fera dire : « Je suis l’écho premier de l’éboulis qui s’enfle ». Ces révoltes d’esclaves natifs et africains tiennent tête au pouvoir colonial et permettent l’apparition des premiers palenques – camps d’esclaves fugitifs. Tout au long du 16e et du début du 17e siècle, les régions d’Amérique Latine où sévit l’esclavage voient se développer des révoltes d’esclaves. Elles sont toutes brutalement combattues (d’abord en Colombie, à Cuba, au Mexique, à Panama, puis au Brésil et dans les Antilles), mais favorisent l’émergence des palenques (ou quilombos au Brésil) qui deviendront, dans certains cas, des points d’appuis d’insurrections plus importantes, remettant profondément en cause le système esclavagiste.
Dans les ténèbres de l’esclavage, le marron fut le porte-lumière
Le marronnage provient de l’espagnol cimarrón, mot emprunté aux premiers habitants amérindiens Arawaks d’Haïti et qui sert à désigner un animal domestique redevenu sauvage. Qualifié de « petit » ou de « grand » selon la durée de fuite de l’esclave de la demeure du maître, le marronnage représente la libération de l’esclave par lui-même, par la révolte, sans attendre un éventuel affranchissement de la part du maître. Les groupes de fugitifs constituaient d’ailleurs une menace permanente pour plusieurs sociétés esclavagistes, en raison de leur pouvoir d’attraction sur les esclaves indociles et aussi à cause des raids qu’ils lançaient contre les plantations.
La fuite et la constitution de communautés d’esclaves fugitifs sont une des formes de résistance les plus fréquentes. Ce phénomène, sévèrement réprimé, concerne durablement l’ensemble des régions soumises à l’esclavage. Des camps de marrons où les fugitifs s’assemblent et organisent la survie à l’exemple de :
– Palenques de Santa Maria de la Antigua en Castille d’Or. Mise en place vers 1530 dans la région de l’actuel Panama, essentiellement composé d’esclaves s’étant enfuis des mines aux alentours. C’est dans cette même région que se constitue, autour de 1550, le camp marron de Nombre de Dios sous l’autorité de Bayano, chef africain d’origine guinéenne. Le pouvoir colonial espagnol entreprend alors de détruire le palenque ; il lui faudra cinq ans, de 1553 à 1558, pour en venir à bout.
– Le Quilombos de Palmares, est un des plus célèbres qui s’est établi dans une région montagneuse du Nordeste, à la frontière des états actuels d’Alagoas et de Pernambouco au Brésil (vers 1624). Il résista pendant presque 50 ans aux attaques incessantes du pouvoir en place. Zumbi en fut le chef le plus fameux. Il fut tué en 1695, lors du massacre qui mit fin à l’existence du quilombo mais son nom est toujours resté lié aux luttes des Noirs et plus généralement des opprimés contre leurs oppresseurs.
Malgré une punition extrêmement féroce, la quête de liberté fut l’essence même du marronnage.
Le marronnage à la Réunion, quand le captif arrache sa liberté
– Dans une île ou le pouvoir colonial à entrepris la destruction à grande échelle des sources concernant l’esclavage et le marronnage, rappeler ces éléments considérables de notre histoire est pour nous un devoir ! Le phénomène de marronnage démarre dès le début du peuplement de La Réunion car dès 1663 les serviteurs malgaches accompagnant Louis Payen à Bourbon s’étaient enfuis dans les montagnes où ils donneront naissance aux premières installations et aux premières vies humaines, si l’on en croit au caractère vierge de l’île durant cette période.
Un conflit éclate dès leur installation dont le récit a été rapporté par Urbain Souchu de Rennefort, Secrétaire de l’Etat de la France Orientale : « Cette île était habitée de deux français et dix nègres, sept hommes et trois femmes passés de l’ile de Madagascar, rebellés contre les Français et retirés dans les montagnes où ils étaient imprenables et rarement visibles. Ils accusaient les Français d’avoir tué leurs pères, et, après une conspiration éventée d’exterminer ces deux Français, ils s’ôtèrent de leur vue et de la portée de leurs fusils. Six soldats furent envoyés les chercher, mais leur peine fut inutile. Ils se retirèrent en des lieux inaccessibles. »
Le grand marronnage, une constante à La Réunion, est une recherche d’autonomie, de construction d’un monde libre, non esclavagiste. A Bourbon, c’est un projet de révolution politique et sociale pour établir un état libre : le royaume de marronnage, pour fuir les conditions rudes des plantations et pour recouvrer la liberté. La peur de mourir loin des ancêtres, (pensant que leur âme serait ainsi condamnée à l’errance), les pousse également au marronnage et permet de résoudre la question du tombeau ancestral.L’usage du malgache dont seuls bénéficient les Malgaches permet une communication efficace et spontanée, source d’une intercompréhension et une complicité fécondes entre eux, contribue au développement du marronnage et renforce la structuration des communautés marronnes de l’intérieur de l’île.
Le marronnage eut à La Réunion des développements importants, la géographie de l’île autorisant une fuite durable des esclaves dans des lieux écartés, peu susceptibles d’être atteints par les chasseurs. La « vallée secrète » par exemple est située à 2 000 mètres d’altitude entre les cirques volcaniques de Cilaos et de Mafate. Il y avait là un campement de « marrons » estime Edouard Jacquot, conservateur régional de l’archéologie. « Il fallait être en condition de péril pour aller se réfugier dans des lieux comme ça. Il y avait le besoin d’échapper à sa condition, ce qui prouve que les besoins fondamentaux ne sont pas uniquement matériels. On touche là à ce qu’il y a de plus humain, à ce qu’il peut y avoir d’universel dans l’homme. »
L’acte fondateur de la constitution des communautés de marrons, semble bien être lié à Anchain, réfugié sur son piton, qui accueillait, organisait, coordonnait les groupes de marrons, comme le décrit Eugène Dayot :
« Le haut de son piton était un observatoire d’où partaient des signaux convenus pour avertir de l’approche des Blancs …Souvent aussi, quand les bandits et leur troupe se trouvaient pris pendant leur chasse aux cabris sauvages par un parti nombreux de détachements, le signal de ralliement paraissait au haut du piton. »
Les marrons ont bien souvent à tort, été décrits dans le discours colonial comme des individus perpétuellement en fuite dans les endroits les plus retirés et encore inexplorés de l’île. L’histoire montre qu’ils s’enracinent dans l’île, créent de véritables réseaux et s’ancrent dans le territoire. Ils organisent les camps et assurent leur protection contre les attaques des détachements. Sudel Fuma, professeur d’histoire contemporaine à l’université de La Réunion et titulaire de la chaire de l’Unesco sur la mémoire de l’esclavage, a retrouvé les registres de marronnage de la commune de Saint-Paul, qui témoignent de l’ampleur du phénomène.
De 1730 à 1734, 985 « départs » sont enregistrés. L’historien estime que, en 1741, 6 % de la population esclave est marronne. S’y ajoutent les nombreux suicides (quatre par trimestre en 1846). Esclave mort ou en fuite, le maître écrit à chaque fois « bien perdu » dans son inventaire. Véritables nomades, ils font des descentes/razzias dans les plantations sur la côte pour aller récupérer des femmes restées en esclavage et pour se ravitailler en outils et en vivres. Réduit à l’état d’esclave sur la plantation d’un maître, le Cafre/le Malgache (cafre venant de l’arabe kafir étaient le nom employé par les sultans arabes pour désigner les noirs captifs achetés sur les côtes d’Azania ou à l’intérieur de l’empire Karanga) est dépossédé de sa famille, de son identité et de son environnement. Dans sa quête de la liberté, il exprime le désir et la volonté de recomposer son cercle familial, de se construire une identité dans un nouveau territoire.
– Que la force des marronnes soit avec vous !
Héva, Raharianne, Marianne, Sarlave, Simangalove, ces femmes ont joué un rôle essentiel dans le marronnage, en participant à la vie sur les camps, dans la transmission des traditions, des savoirs, des croyances, des rites et pratiques culturelles et religieuses. Elles ont hautement contribué au métissage de l’île et à la découverte des cirques. Les femmes marronnes jouent un rôle important elles incitent, préparent et aident les hommes à s’enfuir de la plantation et bien souvent les rejoignent. Ces femmes s’élèvent contre l’esclavage, elles sont source de motivation à la reconquête de la liberté. « Et pour les hommes le marronnage est certes une quête pour la liberté mais aussi et avant tout une véritable histoire d’amour des hommes noirs pour leurs femmes »(Marie-Ange Payet, les femmes dans le marronnage).
Les femmes donnent un sens à l’existence marronne en donnant la vie à des enfants qui appartiennent à leurs parents et non aux maîtres. Elles recréent en quelque sorte leur vie dans la constitution de familles, dans un espace privé, protégé et libre : les camps marrons. Elles restent dans les camps pendant que les hommes vont au combat et font les descentes. Et quand les hommes ne reviennent pas d’une expédition, c’est elles qui organisent la survie du camp et surtout celle des enfants, elles permettent dans certains cas, une longue occupation des camps marron : en Juin 1751 à l’Îlet à Cordes à Cilaos, les chasseurs découvrent une installation de longue date où se côtoient trois générations de marronnes avec des enfants. Le chasseur Edme Cerveau « tue une vieille négresse nommée Bonne, dont la fille : Zavelle, de son nom malgache, était la mère de Mangalle ».
A La Réunion à l’instar des autres sociétés esclavagistes, cette société est née dans la violence avec l’arrivée des premiers habitants et a perduré jusqu’en 1848. « Après l’abolition, la mémoire de cette période a été éradiquée. L’histoire devait être effacée. En 1860, les Archives ont été nettoyées. » […] « L’histoire de l’esclavage, l’histoire du marronnage, c’est l’histoire du silence » ; explique Sudel Fuma. Des minutes de procès ont notamment disparu. Le temps, la mauvaise conservation, le désintérêt ont achevé l’oeuvre d’oubli. Jusqu’à une période récente, le sujet était tabou : le maloya, la musique des esclaves, est resté interdit dans l’île jusqu’en 1981. Contrairement à la pensée populaire, les actes de rébellion des esclaves vis-à-vis de leurs oppresseurs européens n’ont jamais cessé jusqu’aux abolitions. En Haïti, au Brésil, dans toutes les Antilles et dans l’Océan Indien, elles étaient même chose courante.
Annexe:
1-Illustration d’une révolte d’esclaves.
2-Portrait de Sanité Bélaire.
3-Le piton Cimendef. (La Réunion)
4-Illustartion de Quilombos de Palmares. (refuge de marrons au Brésil)
5- Les peines encourues par les esclaves.
6- Gravure de William Blake, représentant un esclave pendu par un crochet, probablement extrait d’un ouvrage de John Gabriel Stedman racontant une expédition de 5 ans (1772 à 1777) au Guyana contre les esclaves noirs révoltés du Suriname.
7-La « vallée secrète ». Elle est située à 2 000 mètres d’altitude entre les cirques volcaniques de Cilaos et de Mafate. (La Réunion)
8-Une esclave fugitive et son enfant. 1889. Estampe. In La traite des nègres et la croisade africaine / Alexis Marie Gochet, Paris : C. Poussielgue, Procure générale, p. 209, Musée historique de Villèle.
9-Un village de marron au Surinam.
Très bel article