Des résistances multiformes dès le début de l’esclavage par les déportés. (Partie 3)

Dès le début de leurs vies d’esclaves, les hommes et les femmes capturées et vendues dans les ports des côtes d’Afrique de l’Ouest et de l’Est, ont tentés de résister et de s’insurger contre leur nouvelle condition. Les conditions de voyages et de captivité sont si pénibles que les résistances tant individuelles que collectives sont inévitables.

Résistances passives par autodestruction

– Le suicide

Le suicide est une des manières les plus fréquentes que les esclaves utilisent pour échapper à leur sort. Cet acte semble avoir été le premier mode de résistance utilisant la violence auquel ceux-ci recoururent pour lutter contre leur asservissement. Sa pratique aurait d’abord débuté dans les cales des navires négriers qui les conduisaient dans les colonies, et avait pour but de faire perdre au marchand négrier, le bénéfice de sa marchandise. Ils se suicidaient pour détruire l’outil de travail, le bien du maître pour porter intentionnellement atteinte à ses intérêts comme en témoigne en 1722, le Père Labat.

Aussi, selon Lucien Peytraud, « ces actes de désespoir sont soutenus par la croyance à la métempsychose et à la certitude que l’âme ainsi délivrée s’envole pour l’Afrique … ». Les Noirs se donnaient donc la mort car ils étaient persuadés que la mort était « le seul moyen de retourner à leur terre natale ».

– L’automutilation

Cet acte fait partie des sabotages pour ralentir le travail, les esclaves se mutilaient eux-mêmes pour échapper aux cadences de travail inhumaines dans les plantations en se coupant une main ou les orteils. Certains se rendaient malades en introduisant des verres dans le pied ou la main, ce qui conduisait à une amputation d’un membre… Ainsi ils sabotaient l’outil de travail que possédait le maître.

– Le refus d’enfanter

Outre ces violences exercées volontairement contre leurs propres personnes pour abréger leurs souffrances, les esclaves désespérés par l’enfer qu’ils vivaient dans les plantations, cherchèrent à préserver leurs progénitures d’un avenir semblable au leur. Les femmes, si elles ne peuvent briser leurs fers, refusaient pour autant de participer à la pérennisation du système esclavagiste en limitant les naissances ou en retardant la conception du premier enfant.

A l’époque royale, à la Réunion, Léonard de Bellecombe et Honoré de Crémont (Commandant et Ordonnateur de Bourbon de 1767 à 1784), tentent d’encourager la fécondité des esclaves par des gratifications, comme le projet d’accorder l’affranchissement aux couples de Noirs qui auraient donné dix esclaves à leurs maîtres, et ceci démontre leur volonté de lutter contre la résistance des esclaves, mais ce fut un échec.

Honoré de Crémont, auteur d’un mémoire sur Bourbon en 1785, attribue l’échec de la politique nataliste, au refus des femmes captives d’enfanter. Il écrit : « La principale cause est que la plupart de ces femmes détruisent leur fruit ne voulant pas mettre au monde des enfants aussi malheureux qu’elles ». Et quoique cela leur coûtât, c’était leur part de sacrifice dans cette lutte quotidienne contre l’esclavage qui leur niait continuellement leur appartenance à l’espèce humaine.

La conservation de leur culture d’origine

L’utilisation des langues, cultes religieux, prénoms et danses d’origine est une forme de résistance. Les croyances ancestrales étaient des facteurs de cohésion et de résistance anti-esclavagiste. La religion est un des facteurs fondamentaux de survie et de résistance pour les Africains contre l’esclavage.

Les femmes maronnes participent ainsi à la survivance des cultures, des croyances, des pratiques religieuses et des rites de la terre natale ; des musiques, des pratiques culinaires et des connaissances de la nature environnante, en tirant profit pour la survie du groupe. A La Réunion, les guérisseuses, grâce à la connaissance qu’elles possèdent des plantes médicinales locales, apaisent les maladies du corps et de l’esprit. La légende de Granmèr’ Kalle par exemple, possède un pouvoir de vie et de mort et son esprit rôde dans les montagnes de l’île de La Réunion.

Pour Pierre Ajavon : « plus que tout autre domaine, ce sont les systèmes religieux des Noirs-marrons qui ont mis, le plus, en lumière leur fidélité aux survivances de l’Afrique native, en particulier au sein des communautés Saamaca et Djuka (Bushinengue de Guyane), les premiers à se rebeller contre le système servile ».

Les Africains furent dépouillés et malmenés, mais ils furent aussi armés du désir secret de maintenir leurs propres croyances religieuses malgré les contraintes imposées par l’esclavage.

Les résistances actives sous forme de révoltes lors de la traversée

Enfin, des mutineries éclatent sur les bateaux négriers. Peu aboutissent, elles sont souvent noyées dans le sang, les survivants sont fouettés, torturés ou jetés à la mer.

L’histoire courageuse de Massavana se passe en 1766. Entre 1652 et 1800, un peu moins de 3 000 Malgaches furent transportés à bord de ces bateaux négriers vers Cape Town. Originaire de Madagascar, Massavana est né vers les années 1740. Il est âgé d’environ 26 ans lorsqu’il émarge la glorieuse liste des valeureux résistants africains au Yovodah, dont l’écho des faits d’armes a pu heureusement nous parvenir. Embarqué comme esclave sur le Meermin, il mena une révolte en mer. C’est ainsi que le 18 février 1766, lors d’une corvée de nettoyage sur le pont, Massavana et ses frères attaquèrent Johann Krause et les matelots chargés de leur surveillance, les massacrèrent et les jetèrent par-dessus bord.

Olaf Leij et une vingtaine de Blancs rescapés se refugient alors dans l’armurerie du bateau, d’où ils organisent la résistance face aux révoltés africains. Bientôt en manque de provisions d’eau et de nourriture, Olaf Leij demande à négocier avec Massavana et ses frères ; ceux-ci exigent que les Blancs les ramènent à Tuléar s’ils veulent avoir la vie sauve. Les Européens feignent d’accepter ce compromis, mais ils rusent avec les instruments de navigation pour faire dériver subrepticement le bateau au voisinage de sa destination initiale. Ainsi, au bout de quelques jours, le Meermin se retrouve sur les côtes continentales, échouant non loin d’une colonie néerlandaise du Cap des Aiguilles. Massavana désigne un groupe de plusieurs dizaines d’Africains pour aller reconnaître les côtes à bord d’un canot. Malheureusement, les colons européens embusqués attaquent les Africains, dont ils massacrent un nombre considérable ; faisant prisonniers les survivants.

Leur mémorable procès survient quelques mois plus tard : le 25 août 1766, Massavana, Koesaaij et leurs compatriotes sont condamnés à diverses peines d’emprisonnement sur l’île de Robben Island. Massavana y décède trois ans plus tard, le 20 décembre 1769 ; tandis que Koesaaij survivra dans ce camp de la mort pendant une vingtaine d’années.

Certaines révoltes ont réussi, notamment celles ayant lieu à proximité des côtes africaines : En 1751, au moment de son départ, le Willingmind, négrier britannique accosté en Sierra Leone, est pris et incendié par les captifs. En 1767, après quatre jours de navigation, les déportés du navire britannique l’Industry massacrent l’équipage et remettent le cap sur l’Afrique.

Parfois, les insurgés reçoivent l’aide des populations locales ; ainsi en 1769, alertés par les coups de feu tirés à bord du Nancy de Liverpool, qui vient de lever l’ancre, des hommes de New Calabar (Nigeria) partent en pirogue porter secours aux captifs révoltés. Un an plus tard, l’Ave Maria, en partance pour la Guadeloupe, est pris d’assaut par des habitants du littoral qui libèrent les captifs.

Des révoltes réussies en pleine mer
Quand leur issue est souvent fatale, les esclaves ne sachant en général pas manœuvrer les navires négriers, ils se trouvent condamnés à dériver et à mourir de faim et de soif. C’est, par exemple, le thème de la nouvelle de Prosper Mérimée, Tamango.

Ou encore l’exemple de Amistad de Steven Spielberg, exemple célèbre d’une révolte de déportés en pleine mer. Ce film évoque un épisode peu connu de l’histoire dramatique de la traite des Noirs vers l’Amérique. En 1839, les captifs d’un bateau négrier se sont révoltés contre leurs geôliers avant d’errer plusieurs semaines en mer et d’échouer sur les côtes américaines.

Le film montre à travers une série de séquences chocs quelle fut l’horrible réalité de la traite des Noirs. Le film est inspiré de faits authentiques, une mutinerie d’un groupe de déportés africains transportés à bord de La Amistad en 1839 et qui est devenue un symbole du mouvement pour l’abolition de l’esclavage.

Alors que les armateurs du navire déposent un recours en justice pour récupérer leur « cargaison », un avocat de la ville demande que soit reconnu le statut de réfugiés pour ces naufragés, et récuse l’affirmation que ces personnes soient de la marchandise. Le président lui-même fut interpellé sur ce sujet.

La bataille acharnée autour de leur procès (deux ans) attire l’attention de la nation tout entière et met en cause les fondements du système judiciaire américain. Mais pour les hommes et les femmes emprisonnés, il s’agit tout simplement du combat pour le respect d’un droit fondamental et inaliénable : la liberté. Les prisonniers ont finalement été libérés, mais laissés à eux-mêmes ; les survivants ont pu finalement retourner en Afrique 1841.

ANNEXE
1-La maquette du Meermin
2-Photo du documentaire représentant Massavana
3-Peinture d’une révolte d’africains en mer
4-Affiche de Amistad, fil de steven Spielberg

KA UBUNTU

mouvement politique indépendantiste et panafricaniste fondé par des réunionnais.

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