En philosophie il y a deux grandes écoles : les idéalistes et les matérialistes. Quand on parle de matérialisme en philosophie on ne parle pas du deuxième sens répandu autour de ce mot, qui aujourd’hui désignerait davantage une tendance pour les êtres humains à s’attacher aux objets qu’ils possèdent ou plus généralement au consumérisme.
***Lorsqu’on parle de matérialisme dans le domaine de l’analyse, il s’agit de considérer que la conception des phénomènes environnants, les interprétations des phénomènes de la nature ou de notre société sont matérialistes, c’est-à-dire qu’elles s’inscrivent à l’intérieur d’une organisation plus vaste de ce qui existe physiquement et objectivement autour de nous. Si l’on voudrait comprendre l’origine d’un phénomène naturel ou social il s’agirait donc dans un premier temps de comprendre ce qui objectivement et physiquement les provoque ou leur permette d’exister.
Dans le cadre d’une analyse sociale ou des rapports sociaux cela permettrait donc d’avoir une vision et explication la plus scientifique possible, par rapport à un ensemble de théories basées uniquement sur des idées pas toujours démontables.
Car comme expliqué plus haut, si toute chose dépend de la matière, la pensée elle même qui se voudrait illimitée reste produite qu’à la condition du fonctionnement d’un organe de notre corps (le cerveau) et elle est surtout soumise à un ensemble d’éléments l’orientant, l’influençant et la délimitant sans être forcément objective. Autrement dit, la théorie matérialiste invite à relativiser et à adopter la plus grande humilité lorsqu’il s’agit de comprendre les consciences ou l’ensemble des pensées humaines qui ne demeureraient que des produits de la matière ou pour résumer de notre environnement. Toute chose présuppose une existence matériellement déterminée.
***A l’inverse la théorie idéaliste voudrait résumer l’existence des phénomènes par une explication idéologique. Autrement dit pour les idéalistes une chose n’existe que parce que la pensée l’a fait exister. Si la pensée s’arrête alors la chose n’existe plus. L’idéalisme nie les conditions objectives et matérielles qui feraient que cette même chose continuerait d’exister indépendamment de la pensée des hommes. L’inconsistance de cette analyse réside dans la négation et le déni d’une base matérielle générant les idées. L’idéalisme ne parvient pas à comprendre d’où proviennent les idées, qu’est-ce qui le fait naître et de quoi elles sont le fruit ! Les idéalistes ne répondent pas à ces questions pour plusieurs raisons. D’un point de vue philosophique ils demeurent uniquement focalisés sur les théories en excluant toute explication matérielle objective.
D’un point de vue politique, cette absence de raisonnement est une arme pour le pouvoir bourgeois contre-révolutionnaire. Expliquer les mouvements d’idées et les phénomènes sociaux uniquement par le prisme des idées revient à ne jamais critiquer le conditionnement social qui les font apparaître. D’un point de vue pratique, cela correspond aussi à se refuser toute critique et analyse sur les structures sociales, les rapports de domination et la responsabilité des pouvoirs en place dans l’organisation de nos vies et les répercutions que cela provoque dans nos interactions humaines. Qui dit absence d’analyse critique sur le rôle des structures qui organisent nos sociétés (politiques, économiques, culturelles liées aux héritages Socio-historiques…), induit également une absence d’action et de méthode pour renverser les problèmes sociaux ou l’aliénation qui nous affecte.
***Concernant le problème du racisme il en est malheureusement de même. Alors que la plupart des études qui ont été effectuées sur ce sujet rattache ce phénomène au domaine de la sociologie et des conséquences de ce dernier sur la psychologie au sein des sociétés, un certain courant anti-raciste moral voudrait tout expliquer par le domaine de la pensée ou de l’idéologie. Une régression majeure par rapport aux contributions des pionniers de la lutte décoloniale tel Albert Memmi ou Frantz Fanon. Ce dernier, psychiatre de formation, a d’ailleurs analysé la « culture raciste » comme étant le produit d’un rapport de domination entre colonisateur et colonisé. Cela signifie que le peuple qui domine baigne dans un conditionnement raciste. Cela ne signifie pas que toute personne de ce peuple soit raciste bien qu’inconsciemment il soit objectivement impossible de ne pas avoir inconsciemment hérité de relans et de stéréotypes de la culture raciste à moins d’avoir une culture politique suffisamment forte pour s’en détacher ( ici cette culture ne pourrait venir que du cadre de la lutte sociale populaire mais ceci n’est pas le sujet de ce propos). Cela pose comme postulat de départ que nos idées et notre culture, ne peuvent être produite que par des structures qui nous organisent et qui nous attribuent un rôle et un statut par rapport au pouvoir dominant. Une personne est forcément située au sein de cette organisation hiérarchique.
Pour désamorcer le racisme il n’est donc aucunement bénéfique d’agir seulement sur la morale ou la culture c’est-à-dire sur le domaine des idées puisque ce dernier persistera à n’être façonné que par rapport un rôle précis dans la hiérarchie sociale. Le racisme que nous observons à La Réunion est symptomatique d’une administration coloniale qui mute sans arrêt pour ce maintenir d’une façon ou d’une autre.
Ce racisme venant des Zorey n’est qu’une parcelle de la colonialité dont notre territoire a hérité depuis bientôt 4 siècles et qui sévit encore à travers le statut assimilationniste qui ne s’applique surtout que par la répression de nos expressions de particularité. Ce racisme est entretenu par le système administratif qui maintient l’exogène zorey au sommet de la hiérarchie administrative. La connivence réelle entre ces administrateurs et le haut du sommet de la hiérarchie des intérêts privés zorey (grosses multinationales) maintient aussi une domination qui à toutes les échelles a des répercussions sur la culture et le mode d’interaction entre Zorey et Réunionnais. Dès lors qu’il y a hiérarchisation et domination systémique il ne peut y avoir que du racisme!
***Ce racisme n’est pas simplement qu’un héritage des rapports communautaires ! Il peut aussi y avoir une culture raciste liée à des hiérarchisations entre les territoires. Cela s’expliquerait par le poids de l’histoire (l’héritage historique des relations entre les territoires) mais encore par les structures de pouvoir en place : économique, politique etc… sur ce dernier cas je maintiens que La Réunion administrée par la compagnie des Indes qui était employée à traiter avec les négriers de l’océan indien pour s’approvisionner en esclaves qui souvent provenait des îles Comores a toujours eu un rapport particulier avec le canal du Mozambique.
Le mode d’administration des Comores également était rattaché à la colonie réunionnaise qui en était le centre décisionnel. Les grandes familles créoles qui hériteront de terres concédées aux Comores au temps de la colonisation ont produit elles aussi le souvenir d’un rapport particulier avec le Réunionnais colon. Les tentatives de déstabilisation de l’archipel par la mise au bagne de ses rebels (depuis le sultan Saïd Ali au président Mohamed Djohar) ou le soutien logistique à des coups d’États ou des opérations impérialistes (de Bob Denard au transfert de Mohamed Bacar) prouvent également la connivence de l’administration locale avec le néocolonialisme français dans la zone.
La constitution d’un lobby colonial dans l’encadrement des consultations pour Mayotte française via La Réunion et aujourd’hui la mainmise de certaines entreprises réunionnaises dans le secteur privé à Mayotte est également la preuve d’un rapport déséquilibré entre le 101ème département et les collectivités réunionnaises au service du projet géopolitique néocolonial français. Une connivence qui a des répercutions sur la structuration du paysage social réunionnais et à laquelle ne peut que s’accompagner une culture raciste envers le subalterne comorien. Ce dernier n’est pas subalterne parce qu’il l’aurait souhaité ou parce que le réunionnais l’aurait voulu mais par tous les instruments et leviers que l’impérialisme français utilise dans notre région … Les relations entre ces îles n’ont été neutres qu’au sein des navires nègriers …Jamais d’un point de vue de pouvoir ou de l’administration française !
Il en résulte une cohabitation très particulière entre réunionnais et ressortissants de l’archipel sur le sol réunionnais. La couverture raciste de la presse dans les faits divers qui aime identifier la provenance des impliqués lorsque ce sont des comoriens ou la production de chansons sketch et éléments du folklore aux connotations racistes participent inconsciemment ou pas à perpétuer des clichés. Après la mise au ban raciste des bailleurs sociaux, ces derniers utilisent désormais les attributions de logements à des fins de missions politiques électorales. Il en résulte une ghettoïsation ethnique accompagnée d’une absence de propositions de solutions par les pouvoirs locaux sur les violences systémiques qui y ont lieux simultanément à la propagation d’un discours stigmatisant qui comporte tous les clichés de la culture coloniale anti-kamite de la période esclavagiste. Une culture raciste donc, qui s’inscrit encore dans un statut quo colonial et dans une hiérarchisation des communautés, des territoires par des structures politiques, économiques et administratives. Le racisme étant la justification morale et culturelle de cette domination, ou la France utilise les collectivités réunionnaises pour maintenir sa domination dans l’océan indien. Et pour que cette domination continue elle cache au peuple sa responsabilité réelle dans la paupérisation de nos voisins en entretenant à tous les niveaux la culture raciste.
Tout ne peut donc pas être simplifié en disant qu’il s’agit simplement de mentalité ou de culture! Explication simpliste et raciste qui ferait que Mahorais (et comoriens en général) et Réunionnais soient sur un terrain glissant en ce qui concerne des relations pluriséculaires qui ont toujours existé dans notre île. Ce discours qui tend à expliquer tout par la culture reprend tous les stéréotypes négrophobes et afrophobes des sociétés post-escalvagistes mais surtout ont tendance à nier les rapports de domination qu’il existe entre les îles pour les intérêts français. Des postures débilitantes et destructrices de notre cohésion sociale au service de la colonialité du pouvoir. Si l’on veut agir véritablement contre le racisme c’est dans l’action sur le pouvoir qu’il est nécessaire et impératif de décoloniser pour parvenir à des rapports pacifiés et des relations saines entre les îles de l’océan indien et au sien de nos sociétés.
Illustration: photo d’une page dans « la philosophie africaine de la période pharaonique » de Théophile Obenga. Copie d’un des textes des pyramides (premiers textes de l’humanité vers -3000). La pensée negro-égyptienne est la première à supposer la matière avant l’action et l’existence des choses. Avant Marx et avant les stoïciens! C’est dans le Noun, soit la matière primordiale qu’Atoun prit conscience de lui même.