26 mars 1983
C’est en sa qualité de premier ministre du conseil du salut du peuple 5 (CSP) que, le 26 mars 1983, Sankara prononce ce discours à un meeting à Ouagadougou. Le CSP dirigé par Jean-Baptiste Ouédraogo avait vu le jour à la suite du coup d’état militaire du 7 novembre. Le texte ci-après est tiré de l’hebdomadaire burkinabé Carrefour africain du 1er avril 1983.
Je vous remercie d’avoir bien voulu vous rassembler ici, sur cette place du 3 janvier. Je vous salue d’avoir accepté de répondre à l’appel du conseil du salut du peuple : vous démontrez ainsi que le peuple de Haute-Volta est un peuple majeur.
Lorsque le peuple se met debout, l’impérialisme tremble. L’impérialisme qui nous regarde est inquiet : il tremble. L’impérialisme se demande comment il pourra rompre le lien qui existe entre le CSP et le peuple. L’impérialisme tremble. Il tremble parce qu’il a peur, il tremble parce qu’ici à Ouagadougou même, nous allons l’enterrer.
Je vous salue également d’être venus démontrer que tous nos détracteurs qui sont à l’intérieur comme à l’extérieur ont tort. Ils se sont trompés sur notre compte. Ils ont cru que par leurs manœuvres d’intoxication et d’intimidations, ils pourraient arrêter la marche du CSP vers le peuple. Vous êtes venus, vous avez démontré le contraire. L’impérialisme tremble et il tremblera encore. Peuple de Haute-Volta, ici représenté par les habitants de la ville de Ouagadougou, merci. Je vous remercie parce que vous nous donnez l’occasion de vous donner une information saine, une information qui vient de la base.
De quoi s’agit-il ? Il s’agit de vous dire exactement ce que veulent nos ennemis, ce que veut le CSP et ce à quoi le peuple a droit. Le peuple aime la liberté, le peuple aime la démocratie. Par conséquent, le peuple s’attaquera à tous les ennemis de la liberté et de la démocratie.
Mais qui sont les ennemis du peuple ? Les ennemis du peuple sont à l’intérieur comme à l’extérieur. Ils tremblent actuellement, mais il faut que vous les démasquiez. Il faut que vous les combattiez jusque dans leurs trous. Les ennemis du peuple à l’intérieur, ce sont tous ceux qui se sont enrichis de manière illicite, profitant de leur situation sociale, profitant de leur situation bureautique. Ainsi donc, par des manœuvres, par la magouille, par les faux documents, ils se retrouvent actionnaires dans les sociétés, ils se retrouvent en train de financer n’importe quelle entreprise ; ils se retrouvent en train de solliciter l’agrément pour telle ou telle entreprise. Ils prétendent servir la Haute-Volta. Ce sont des ennemis du peuple. Il faut les démasquer, il faut les combattre. Nous les combattrons avec vous.
Qui sont les ennemis du peuple ? Les ennemis du peuple, c’est encore cette fraction de la bourgeoisie qui s’enrichit malhonnêtement par la fraude, par la corruption, par le pourrissement des agents de l’état, pour arriver à introduire en Haute-Volta toutes sortes de produits dont les prix sont multipliés par dix. Ce sont les ennemis du peuple. Cette fraction de la bourgeoisie, il faut la combattre et nous la combattons.
Qui sont les ennemis du peuple ? Les ennemis du peuple, ce sont encore les hommes politiques qui ne parcourent la campagne que lorsqu’il y a des élections. Ce sont encore ces hommes politiques qui sont convaincus qu’eux seuls, peuvent faire marcher la Haute-Volta. Or nous, CSP, nous sommes convaincu que les sept millions d’hommes politiques capables de conduire ce pays. Voila les ennemis du peuple ; il faut les démasquer et les combattre, et nous les combattrons avec vous.
Les ennemis du peuple, ce sont également ces forces de l’obscurité, ces forces qui, sous des couverts spirituels, sous des couverts coutumiers, au lieu de servir réellement les intérêts moraux du peuple, au lieu de servir réellement les intérêts sociaux du peuple, sont en train de l’exploiter. Il faut les combattre, et nous les combattrons.
Je voudrais vous poser une question : est-ce que vous aimez ces ennemis du peuple, oui ou non ? [Cris de « NON ! »]
Est-ce que vous les aimez ? [Cris de « NON ! »]
Alors, il faut les combattre.
A l’intérieur du pays, est-ce que vous les combattrez ? [Cris de « OUI »]
En avant pour le combat !
Les ennemis du peuple sont également hors de nos frontières. Ils s’appuient sur des apatrides qui sont ici, parmi nous, à tous les échelons de la société : chez les civils comme chez les militaires ; chez les hommes comme chez les femmes ; chez les jeunes comme chez les vieux ; en ville comme à la campagne. Ils sont là, les ennemis du peuple. Ils sont là, les ennemis extérieurs. C’est le néo-colonialisme, c’est l’impérialisme.
S’appuyant donc sur ces apatrides, sur ceux qui ont renié la patrie, ceux qui ont renié la Haute-Volta – en fait ceux qui ont renié le peuple de Haute-Volta – l’ennemi extérieur développe une série d’attaques. Des attaques en deux phases : la phase non violente et la phase violente.
Nous sommes actuellement dans la phase non violente. Et l’ennemi extérieur, c’est-à-dire le néo-colonialisme, tente de semer la confusion au sein du peuple voltaïque. Ainsi donc, à travers leurs journaux, leurs radios, leurs télévisions, ils font croire que la Haute-Volta est à feu et à sang.
Or, vous êtes là, peuple de Haute-Volta, et votre présence démontre que l’impérialisme a tort, et que ses mensonges ne passeront pas. Vous êtes présents, vous êtes debout et c’est lui qui tremble aujourd’hui.
Un journaliste étranger, dans un pays lointain, assis dans un bureau climatisé, dans son fauteuil roulant, a osé dire qu’actuellement, le CSP connaît un échec dans ses tournées d’information. Est-ce un échec ? Vous êtes là, répondez-moi ! [Cris de « Non! »]
Est-ce que c’est un échec ? [Cris de « Non !»]
Je souhaiterais que l’impérialisme soit là, qu’il vous entende dire non.
Répétez : est-ce que c’est un échec ? [Cris de « Non !»]
Voyez-vous, l’impérialisme a tort. Mais l’impérialisme est un mauvais élève. Quand il est battu, quand il est renvoyé de la classe, il revient encore. C’est un mauvais élève. Il n’a jamais appris la leçon de son échec, il n’a jamais tiré la leçon de son échec. Il est là-bas en Afrique du sud en train d’égorger les africains, simplement parce que ces Africains pensent à la liberté comme vous aujourd’hui. L’impérialisme est là-bas au Moyen-Orient en train d’écraser les peuples arabes : c’est le sionisme. L’impérialisme est partout. Et à travers sa culture qu’il répand, à travers ses fausses informations, il nous amène à penser comme lui, il nous amène à nous soumettre à lui, à le suivre dans toutes ses manœuvres. De grâce, il faut que nous barrions la route à cet impérialisme.
Comme je vous l’ai déjà dit, il passera à une phase violente. Cet impérialisme, c’est lui qui a organisé des débarquements dans certains pays que nous connaissons. Cet impérialisme, c’est encore lui qui a armé ceux qui en Afrique du sud tuent nos frères. Cet impérialisme, c’est encore lui qui a assassiné les Lumumba, Cabral, Kwame Nkrumah.
Mais je vous dis et je vous promets que, parce que j’ai confiance en vous et que vous avez confiance dans le CSP, parce que nous formons le peuple, quand l’impérialisme ici. Ouagadougou sera la bolibana de l’impérialisme, c’est-à-dire la fin de sa route. L’impérialisme a essayé par des méthodes qui sont très raffinées, de faire en sorte qu’au sein même du CSP, il y ait la division. Il a fait en sorte qu’au sein même du peuple voltaïque, il y ait la division. Il a fait en sorte qu’au sein même du peuple voltaïque, il y ait l’inquiétude et la psychose. Mais nous n’avons pas peur.
Pour la première fois, il se passe en Haute-Volta quelque chose de fondamental, quelque chose de tout à fait nouveau. Le peuple n’a jamais eu le pouvoir d’instaurer ici une démocratie politique. L’armée a toujours eu la possibilité de prendre le pouvoir mais elle n’a jamais voulu la démocratie. Pour la première fois, nous voyons l’armée qui veut le pouvoir, qui veut la démocratie. Pour la première fois, nous voyons l’armée qui veut le pouvoir, qui veut la démocratie et qui veut se lier réellement au peuple. Pour la première fois aussi, nous voyons le peuple qui vient massivement pour tendre la main à l’armée. C’est pourquoi nous considérons que cette armée qui est en train de prendre les destinées de la Haute-Volta, c’est l’armée du peuple. C’est pourquoi je salue aussi ces pancartes qui parlent de l’armée du peuple.
Nos ennemis de l’intérieur comme ceux de l’extérieur s’appuient sur un certain nombre d’éléments pour nous nuire. J’en citerai quelques-uns et je vous laisserai le soin de compléter la liste. Ils essaient de faire croire que le CSP va arrêter la marche normale de l’appareil de l’Etat, parce que le CSP a pris des décisions contre des cadres civils. Si nous prenons ces décisions c’est simplement parce que nous estimons qu’à cette phase de notre lutte, il y a des hommes qui ne peuvent pas suivre notre rythme. Il y a des fonctionnaires qui ne viennent au bureau qu’a 9 heures et qui ressortent à 10 heures 30 pour aller dans leurs vergers et surveiller leurs villas. Est-ce que c’est normal ? Quand nous voulons chasser ce genre de fonctionnaires, nos ennemis disent que le CSP veut bloquer l’appareil de l’Etat. Mais qui a peur de qui ?
Nous, nous sommes avec le peuple. Eux, ils sont contre le peuple. Alors nous prendrons des décisions qui seront contre les ennemis du peuple, parce que ces décisions iront en faveur du peuple – le peuple militant de Haute-Volta. Est-ce que vous êtes d’accord que nous maintenions dans notre administration des fonctionnaires pourris ? [Cris de « NON ! »]
Alors il faut les chasser. Nous les chasserons.
Est-ce que vous êtes d’accord que nous maintenions dans notre armée des militaires pourris ? [Cris de « non !»]
Alors, il faut les chasser. Nous les chasserons.
Cela va nous coûter la vie peut-être, mais nous sommes là pour prendre les risques. Nous sommes là pour oser et vous êtes là pour continuer la lutte coûte que coûte.
Nos ennemis disent que le CSP se prépare à nationaliser, que le CSP se prépare à confisquer leurs biens. Qui a peur de qui ?
Lorsque vous faites un tour à Ouagadougou et que vous faites le compte de toutes les villas qu’il y a, vous verrez que ces villas n’appartiennent qu’à une minorité. Combien d’entre vous, affectés à Ouagadougou à partir des coins les plus reculés de Haute-Volta, ont dû tourner chaque nuit parce qu’on les avait chassés de la villa qu’ils avaient louée ? Et chaque jour le propriétaire qui fait monter un peu plus les prix. Pour ceux qui ont acquis normalement leurs maisons, il n’y a pas de problèmes, il n’y a pas d’inquiétude à avoir. Par contre, ceux qui ont acquis leurs terrains, leurs maisons grâce à la magouille, nous leur disons : commencez à trembler. Si vous avez volé, tremblez ! Parce que nous allons vous poursuivre. Non seulement le CSP va vous poursuivre, mais le peuple se chargera de vous. Oui ou non ? [Cris de « Oui » !]
Citoyens honnêtes, même si vous avez mille villas, n’ayez crainte ! Par contre, citoyens malhonnêtes, même si vous n’avez qu’un demi-carré en zone non lotie, « entrée-coucher », commencez à trembler, le CSP arrive ! Nous n’avons pas commencé pour nous arrêter en si bon chemin. Nous ne sommes pas là pour collaborer, nous ne sommes pas là pour trahir le peuple.
On nous dit que nous voulons nationaliser. Le CSP ne comprend pas et ne comprendra jamais, comme vous également vous ne comprendrez jamais, que l’on vienne s’installer en Haute-Volta, qu’on crée en Haute-Volta une entreprise, que l’on réussisse à obtenir des faveurs – exonérations de taxes diverses – sous prétexte qu’on veut créer des emplois, qu’on veut contribuer au développement économique et puis, qu’après un certain nombre d’années d’exploitation éhontée, on déclare : compression de personnel. A quelle condition vous avait-on donné ces faveurs ? A la condition que vous créiez des emplois pour les Voltaïques. Aujourd’hui que vous avez pressé le citron, vous voulez le rejeter. Non ! C’est à cela que nous disons non !
Nos ennemis disent que le CSP a proclamé la liberté d’expression et de presse mais que le CSP commence à mettre un frein à cette liberté. Le camarade Jean-Baptiste Lingani l’a dit tout à l’heure et le camarade Jean-Baptiste Ouédraogo le dira mieux que moi tout à l’heure. Nous ne voulons pas mettre fin à la liberté. Seulement nous disons que la liberté de critiquer déclenche la liberté également de protester. Et la liberté pour les hommes sincères ne doit pas être la liberté pour les hommes sincères ne doit pas être la liberté pour les hommes malhonnêtes. Ceux qui utilisent la liberté que le CSP a créée pour s’attaquer au CSP, pour en fait s’attaquer au peuple voltaïque, à ceux-là nous allons retirer la liberté. Nous leur retirons la liberté de nuire et nous donnons la liberté de servir le peuple. Nous ne pouvons pas donner la liberté de mentir, d’intoxiquer collectivement les consciences voltaïques. Ce serait travailler contre les masses populaires de Haute-Volta.
On dit également du CSP que certains de ses éléments, comme le capitaine Thomas Sankara, sont allés en Lybie et en Corée (du Nord) et que cela est dangereux pour la Haute-Volta. Peuple de Haute-Volta, une question : La Lybie ne nous a jamais rien fait ; la Corée n’a jamais exploité la Haute-Volta ; la Lybie n’a jamais attaqué la Haute-Volta, qui ont mis nos parents en prison. Nos grands-parents sont morts sur des champs de bataille pour ces pays. Nous coopérons avec eux et l’on ne se plaint pas.
Sangoulé Lamizana est parti en Lybie. Saye Zerbo a été en Lybie et en Corée. Pourquoi ne s’est-on pas plaint ? Il y a de la malhonnêteté quelque part. Hier, on a préparé le voyage de Saye Zerbo chez Kadhafi avec l’avion de Kadhafi et on en a fait une publicité. Aujourd’hui que nous partons en Lybie, on se plaint.
Mais nous sommes partis en Lybie de manière responsable et intelligente ! Nous sommes partis en Lybie après que le colonel Kadhafi nous eut envoyé par trois fois des émissaires. Nous avons dit aux dirigeants libyens que nous n’avons rien contre la Lybie, mais que nous avons nos positions. Sur le plan idéologique, nous ne sommes pas vierges. Nous sommes prêts à collaborer avec la Libye, mais nous sommes prêts à lui dire aussi ce que nous lui reprochons, de manière responsable. C’est après trois démarches que nous avons décidé d’y aller, et nous avons posé des conditions concrètes, conformes aux intérêts du peuple voltaïque.
Lorsque le ciment va venir de Tripoli et que nous en vendrons à bon prix, est-ce que le peuple sera content, oui ou non ? [Cris de « Oui ! »]
Pourquoi voudrait-on le ciment de Kadhafi et ne voudrait-on pas que nous allions négocier avec Kadhafi ? Lorsque nous allons négocier avec certains pays deux millions, trois millions de francs CFA, on en parle à la radio. Avec Kadhafi, nous avons négocié 3,5 milliards [de francs CFA]. Et alors ? Le peuple est-il content est-il content, oui ou non ? [Cris de « Oui !]
Le peuple aime la coopération entre les Etats qui respectent leurs peuples. Le peuple de Haute-Volta ne veut pas qu’on lui indique sa voie. Nous disons non à la domestication de la diplomatie voltaïque ! Nous sommes libres d’aller où nous voulons.
Et je vais vous dire une chose, un secret. Ne le répétez pas aux impérialistes. Ceux qui nous reprochent d’avoir été en Libye ont pris les dollars de Kadhafi pour développer leurs pays. Se croient-ils plus malins que nous ? Ils vont traiter avec Kadhafi. Pourquoi ? Qui est plus malin que qui ?
Nous irons partout où se trouve l’intérêt des masses voltaïques. Nous avons vu des réalisations sociales en Lybie : des hôpitaux, des écoles, des maisons et tout cela, accessible gratuitement. Comment la Libye ? A-t-elle pu réaliser ces investissements sociaux ? Grâce au pétrole. Ce pétrole existait sous l’ancien régime du roi Idriss, mais ce pétrole était exploité par les impérialistes et au profit du roi. Le peuple ne bénéficiait absolument de rien. Aujourd’hui, les Libyens ont des maisons gratuitement, des routes bitumées. Si Demain, nous pouvions transformer la Haute-Volta comme Kadhafi a transformé la Libye, seriez-vous contents, oui ou non ? [Cris de « OUI ! »]
Donc, lorsque dans nos rapports avec les autres Etats, nous prenons ce qu’il y a de bon chez eux, nous ne faisons qu’appliquer une politique d’indépendance diplomatique, appliquer une règle du CSP : travailler pour le peuple. Il n’y a pas de honte à se mettre à genoux lorsqu’il s’agit des intérêts du peuple. Nous sommes en train de vous parler et nous savons que dans cette foule, il y a des gens qui voudraient bien nous fusiller actuellement. Ce sont des risques que nous prenons, convaincus que c’est pour l’intérêt du peuple. Nous leur disons : tirez ! Lorsque vous allez tirer, vos balles feront demi-tour et vous atteindront. C’est ce qui s’appelle la victoire du peuple sur les ennemis du peuple. Aujourd’hui nous parlons avec la force du peuple et non avec notre propre force.
Les ennemis du CSP disent que certains fractions du CSP sont favorables à tels pays, à tels camps, au camp pro-occidental, etc…Nous, nous disons que nous ne sommes contre aucun camp, nous sommes pour tous les camps. Nous l’avons répété à New-Delhi, au sommet du mouvement des pays non alignés : nous sommes pour tous les camps.
Nous disons également que celui qui aime son peuple aime les autres peuples. Nous aimons le peuple voltaïque et nous aimons le peuple du Nicaragua, d’Algérie, de Libye, du Ghana, du Mali, tous les autres peuples.
Ceux qui n’aiment pas leur peuple n’aiment pas le peuple voltaïque. Ceux qui sont inquiets actuellement à cause des transformations qui se font en Haute-Volta, ceux-là n’aiment pas leur peuple. Ils s’imposent par la dictature et par des manœuvres policières contre leur peuple. Nous ne sommes pas de ceux-là.
On nous dit que le CSP a une certaine admiration pour le capitaine Jerry Rawlings. Rawlings est un homme ! Tout homme doit avoir des amis et des ennemis. Si Rawlings a des admirateurs en Haute-Volta, à qui la faute ? C’est la faute à l’impérialisme. C’est parce qu’on a créé au Ghana une situation telle que les nouvelles autorités étaient obligées de lutter pour les intérêts du peuple ghanéen. Lorsque le Ghana était prospère, nous, Voltaïques, nous en profitons bel et bien ! Aujourd’hui que le Ghana se trouve dans des difficultés, pourquoi voudrait-on que nous oublions le Ghana ?
Non, nous sommes sincères. Le peuple garde ses attachements. Peut-être des hommes peuvent se trahir, mais les peuples ne se trahissent pas. Le peuple ghanéen a besoin du peuple voltaïque comme le peuple voltaïque a besoin du peuple ghanéen.
Lorsque le capitaine Rawlings a fermé ses frontières, on a protesté. Vous n’aimez pas Rawlings, il ferme ses frontières pour rester chez lui et vous protestez ?
Le Ghana ne peut rien nous imposer. Nous non plus, nous ne pouvons rien imposer au Ghana. Rawlings ne peut pas nous donner des leçons. Mais nous non plus, nous ne pouvons pas donner des leçons à Rawlings. Cependant lorsque Rawlings dit : « No way for kalabule ! », c’est-à-dire halte à la magouille, il dit cela pour l’intérêt du peuple ghanéen. Mais c’est en fait pour l’intérêt de tous les peuples, parce que le peuple voltaïque est aussi contre la magouille.
Les ennemis du CSP disent aussi que nous sommes des « groupes », des communistes. Cela nous fait plaisir ! Parce que cela prouve que nos ennemis sont en désarroi. Ils sont perdus. Ils ne savent plus ce qu’il faut faire, ce qu’il faut dire. Nous n’avons rien fait de communiste ici. Nous avons simplement dit : assainissement, justice sociale, liberté, démocratie. Lorsque nous avons pris la décision de supprimer le décret du CMRPN [Comité militaire de redressement pour le progrès national], qui défendait l’ouverture des bars à certaines heures, nous avons entendu des gens du peuple dire : ces gens du CSP, qu’ils soient des rouges ou des verts, des communistes ou non, nous avons nos intérêts et nous préférons cela. C’est ce qui s’appelle être prêts des masses populaires. Ce ne sont pas des les étiquettes qui comptent. On nous traite de communistes pour effrayer le peuple. On nous taxe de communistes et on dit au peuple que le communiste est mauvais.
Nous n’avons pas l’intention de vous dire que le communisme est bien, non plus de vous dire le contraire. Nous avons l’intention de vous dire seulement, que nous poserons des actes avec vous et pour vous. Peu importe l’étiquette qui sera collée sur ces actes.
Les ennemis du peuple disent également que nous nous attaquons aux étrangers. Non. Nous aimons tous les étrangers : ceux qui sont ici ou qui y viendront. Nous les aimons parce que nous supposons qu’ils aiment le peuple voltaïque. Nous ne considérons pas qu’ils soient des étrangers qui veulent nous exploiter.
Le CSP entend créer avec vous les conditions de mobilisation, de travail. Nous voulons que le peuple s’organise pour le travail, pour le combat qu’on va mener. Par exemple, nous savons que dans certaines régions de Haute-Volta comme à Orodara, il y a des cultures de fruits et de légumes qui sont très réussies. Mais nous savons aussi que dans ces régions, les fruits et les légumes pourrissent par manque de moyens d’évacuation. Alors, nous disons que le peuple mobilité à Orodara construira des pistes d’atterrissage et des avions se poseront là-bas. Les mangues viendront à Ouaga, iront à Dori et ce sera bon pour le peuple de Haute-Volta. Il s’agit de ce genre de travail. Nous voulons que chaque jour maintenant-car nous allons commencer les grandes chantiers-vous sortiez massivement pour construire. Nous allons construire un monument et un théâtre populaire à Ouagadougou. Nous allons construirons les mêmes choses dans tous les départements et cela se fera avec la jeunesse. Vous allez construire pour démontrer que vous êtes capables de transformer votre existence et de transformer vos conditions réelles de vie. Vous n’avez pas besoin qu’on donne la liberté et le droit au peuple. Cela se fera.
Le CSP entend également mettre fin à certains pratiques. Lorsque vous allez à l’hôpital pour une hémorragie ou une fracture, même si vous êtes sur le point de tomber en syncope, on préfère vous laisser sans soins et s’occuper du rhume d’un président, d’un premier ministre ou d’un ministre, simplement parce que vous êtes hommes du peuple, ouvrier. Il faut dénoncer tout cela chaque jour. Nous y mettrons fin. Ayez confiance. Nous allons mettre fin à la spéculation, au détournement, à l’enrichissement illicite. Et c’est pourquoi nous internons et nous internerons tous ceux qui vont voler l’argent du peuple.
Nous disons au peuple d’être prêt à se battre, d’être prêt à prendre les armes, à résister chaque fois qu’il sera nécessaire. N’ayez crainte. Il ne se passera rien. L’ennemi sait que le peuple voltaïque est désormais mûr. C’’est pourquoi lorsqu’on nous dit que deux ans c’est peu pour le retour à une vie constitutionnelle normale, nous disons que c’est bien suffisant. Parce que lorsque vous donnez la parole en toute liberté et en toute démocratie au peuple, en 30 minutes, le peuple vous dira ce qu’il veut. Donc nous n’avons pas besoin de deux ans.
Le CSP vous remercie parce que vous êtes mobilisés. Il a eu raison de vous donner sa confiance, il a eu raison de s’engager à vos côtés pour le combat contre les ennemis du peuple : l’impérialisme. C’est pourquoi nous devons crier ensemble :
A bas l’impérialisme, à bas l’impérialisme, à bas l’impérialisme !
A bas les ennemis du peuple !
A bas les détourneurs des fonds publics !
A bas les « faux-types » en Haute-Volta !
Fini le « faux-typisme » !
A bas les hiboux au regard gluant !
A bas les caméléons équilibristes !
A bas les renards terrorisés !
A bas les lépreux qui ne peuvent que renverser les calebasses !
A bas ceux qui se cachent derrière les diplômes du peuple, et qui à cause de leurs diplômes se permettent de parler au nom du peuple, mais sont incapables de servir au nom du peuple !
A bas ceux qui sont contre les liens entre l’armée et le peuple !
A bas ceux qui sont contre les liens entre le peuple et l’armée !
A bas ceux qui se cachent sous des habits divers-blancs ou noirs-contre le peuple !
L’impérialisme sera enterré en Haute-Volta ! Ses valets seront enterrés en Haute-Volta !
Vive la Haute-Volta !
Vive la démocratie !
Vive la liberté !
Je vous remercie et à très bientôt !
Source
Livre : THOMAS SANKARA, oser inventer l’avenir, David Gakunzi, éd. Pathfinder & L’Harmattan
Photo : : THOMAS SANKARA